épisode 14

Article du "Episode 14", datant de Décembre 2003


. JAG .

Le moins que l'on puisse dire, c'est que JAG revient de loin : annulée par NBC au terme de sa première saison en 1996, elle est récupérée par CBS où elle s'installe petit à petit, au point d'attaquer cet automne sa neuvième rentrée, hissant fièrement ses 183 épisodes.

Portée par un esprit ouvertement patriotique, elle embarrasse la critique qui reconnait en son créateur, Donald Bellisario, le père de Magnum et Code Quantum, un certains talent mais s'accomode assez mal de la rigidité de ses personnages et du caractère de "vitrine militaire" du show.


JAg est née dans l'esprit de Don Bellisario alors qu'il réfléchissait à la place nouvelle des femmes dans le monde machiste de l'armée. Nous sommes alors au début des années 90 et le film Des hommes d'honneur impose un style réminiscent du classique Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger, où un avocat enquêtait au sein de l'armée. Or, l'armée a toujours été un thème majeur de l'univers mis en place par Bellisario dans ses productions : Galatica, Les Têtes Brûlées puis Magnum et Code Quantum, avec un petit détour par Supercopter et Jake Cutter, ont fait une large place à ce microcosme où s'expriment avec acuité les caleurs qui fascinent Bellisario depuis qu'il a lui même servi quatre ans dans les Marines. "Je suis resté fasciné par le code de l'honneur militaire - Dieu, le devoir, l'honneur, la nation - et par la manière dont il survit encore à une époque où tout change si vite", déclare le producteur, traditionnellement scénariste et réalisateur occasionnel de ses créations



Tout Bellisatio se trouve exprimé dans JAG : amoureux du cinéma des années trente et quarante, âge d'or où s'illustrèrent Humphrey Bogart et John Wayne, ce dernier dans des films à la gloire de l'armée américaine, Bellisario en retrouve le style dans une série qui, malgré tout, s'intègre parfaitement à son univers. Au terme de huit annnées de service sur CBS, Thomas Magnum renquillait dans l'ultime épisode de sa série : six ans plus tard, Harmon Rabb Jr reprend le flambeau. Ancine pilote devenu avocat du JAG, le Juge Avocat Général dont le service mène des enquêtes au sein des différents corps de l'armée, Rabb partage les valeurs de Magnum et figure un héros traditionnel, capable de rester fidèle à ses principes en dépit des aléas du monde moderne. La différence est qu'il appartient au système, au contraire de Magnum qui, détective privé, refusait de se laisser compromettre par les magouilles politiciennes auxquelles l'armée était contrainte.



L'autre différence majeure est que JAG est la première série de Bellisario à intégrer réellement un personnage féminin à sa distribution : Supercopter s'y était essayé, mais sous la pression de la chaîne, et sans grand succès. Quant à Magnum et Code Quantum, si elles comportent bien des personnages féminins particulièrement interressants, leurs têtes d'affiche étaient cependant des hommes et l'un de leurs motifs favoris le lien très fort qui unit de vrais mâles dans l'adversité. JAG, au contraire, après une première saison où la présence féminine reste encore ambigue, accorde à une femme un statut d'égalité avec le héros, même si celui-ci conserve le machisme des précédents personnages de Bellisario. Incarnant le Major Sarah Mackenzie, Catherine Bell ne se contente pas de seconder David James Elliott dans son rôle d'enquêteur courageux : elle s'affirme à son côté et lui dame le pion plus d'une fois, acquérant au fil des saisons un passé et une complexité qui n'ont rien à envier à ceux de son alter égo masculin.




Car la série, fidèle en cela aux habitudes de son créateur, sait à merveille développer une continuité qui, au fil des ans, crée une véritable ambiance familiale. Si le héros est caractérisé, comme les personnages antérieurs de Bellisario, par la quête d'un être cher disparu disparu au combat (Magnum pleurait son père disparu en Corée, Hawke et Sam Beckett leur frère disparu au Vietnam), qui court sur les quatre premières saisons, Sarah Mackenzie se débat elle-même dans une vie de famille pour le moins problématique, entre mère indigne, père honni et ex-mari assassiné ! et c'est sans compter avec le sidekick du tandem en vedette, le Lt Bud Roberts, dont le père n'a rien d'un ange d'amour et de douceur. La Famille est présente également de l'autre côté de la caméra : Bellisario emploie ses fils Michael et David en qualité d'acteur et de producteur, apparait dans deux épisodes de la série et s'appuie sur des acteurs associés à ses précédentes productions. C'est ainsi que Jeff MacKay, ancien des Têtes Brûlées, qui incarne le père de Bud Roberts, tandis que Dean Stockwell, co-vedette de Code Quantum, apparait en huitième saison dans le rôle du Secrétaire d'Etat à la Marine. La huitième saison voit en outre l'apparition d'un nouveau personnage dont le nom est un clin d'oeil à Magnum : Tracy Manetti (interprétée par la séduisante Tamlyn Tomita) emprunte en effet le patronyme de Larry Manetti, alias Rick dans Magnum, et auparavant l'une des Têtes Brûlées. Et l'on pourrait multiplier ainsi les ramifications existant entre les séries de Donald Bellisario, tant dans les scripts que dans la constitution des équipes de tournages, devant et derrière la caméra.

JAG allie continuité familiale, action et scènes de tribunal. Enquêtant sur le terrain et prenant part fréquemment aux drames et aux opérations qui s'y déroulent, les avocats du JAG se mesurent également devant des cours militaires : les thèmes disputés dans cette enceinte sont loin de relever uniquement du militaire. On y voit des familles déchirées, des enfances brisées, des luttes de pouvoir comme de religion. La série s'engage en outre sur le terrain politique, mettant en scène des évènements contemporains, du conflit au Kosovo à la guerre contre le terrorisme. Le rôle de la presse, les coulisses politiciennes du pouvoir, les dilemmes qui se posent en temps de guerre, tant sur le front qu'à l'état-major, sont autant de sujets qu'aborde la série, parfois avec maladresse, parfois avec beaucoup plus de bonheur. Plusieurs épisodes reviennent ainsi sur ce qui constituaient déjà un motif majeur de Magnum et Code Quantum : la guerre du Vietnam. A cette différence que, disposant de plus de recul, les scénaristes de JAG mettent en cause l'armée américaine et n'occultent pas les crimes de guerre commis durant le conflit, là où Magnum ne le faisait qu'exceptionnellement et indirectement.




On se retrouve ainsi avec un combiné de plusieurs influences qui séduit, intrigue et chagrine tout à la fois, comme un ami attachant qui embarrasse pourtant par son sans gene et ses prises de position parfois radicales. Bien écrite, efficacement réalisée, JAG a su jouer su dyndrome attraction-répulsion qui frappe les couples mixtes de la télévision (comme tu cinéma), mais éprouve quelque mal à évoluer : après cinq saisons faisant évoluer le couple Harm - "Mac" vers le climax de la sixième saison, la série a choisi le statu quo. Consciente du danger de lier franchement les deux héros, elle les réduit à un marivaudage gentillet après les avoir poussés dans leurs derniers retranchements lors d'une saison 6 particulièrement riche. Quelque peu figés dans leur définition première - Harm est un solitaire attaché au souvenir de son père et Mac une femme qui ne réussit pas à gérer sa vie sentimentale -, les héros ne parviennent pas à évoluer de manière significative, au contraire du Lt Roberts et de son épouse, personnages secondaires que n'épargne pas le destin. Au départ simple Quartier Maitre sur un porte avion, Roberts a considérablement changé depuis les débuts de la série, se mariant, perdant un enfant, réglant plus ou moins ses problèmes familiaux et luttant dans la huitième saison pour surmonter la perte d'une jambe, tout en voyant son caractère s'affirmer au cours des années. La série possédant une mémoire, cependant, on attend avec impatience de découvrir les lendemains d'une promesse faire à la fin de la saison 4, dans l'épisode 83 : Harm a promis à Mac que s'ils étaient encore tous les deux célibataires cinq ans plus tard, ils feraient un enfant ensemble. Or, l'actrice Catherine Bell, et son personnage dans la série, sont effectivement enceintes dans le courant de la huitième saison, celle donc que diffuse en ce moment France 2. Le cliffhanger de fin de saison rebondit d'ailleurs sur le destin du couple et promet quelques développements propices à lancer le tandem sur de nouvelles voies.




Du côté de ses scénarios, la série se montre également capable du meilleur comme du pire. Le meilleur : des épisodes hautement dramatiques qui abordent de front des questions difficiles. Chantant les mérites d'un code d'honneur peut être surrané, JAG ne redoute pourtant pas la polémique : un épisode de la septième saison évoque le racisme en vigueur dans l'armée en mettant en scène une page d'histoire remontant à la Seconde Guerre Mondiale, un autre de la cinquième évoquait une possible manipulation gouvernementale pour faciliter l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1941, plusieurs autres incriminent la misogynie ou l'homophobie des militaires. JAG offre ainsi un point de vue documenté sur l'Histoire de son pays, en même temps que nuancé. E pourtant, les scénaristes frôlent aussi le propagantisme, transformant bien des plaidoiries en panégyrique sans nuance du courage et de l'esprit de sacrifice des soldats américains. La critique s'émeut ici à juste titre : car il ne s'agit pas de faire de l'anti-militarisme primaire, on tique malgré tout devant les envolées lyrique de Harmon Rabb, enflées par une musique cocardière, là même où plus de retenue laisserait le public libre de son jugement.




Série sur l'armée tournée en temps de paix et tirant parti des évènements réels, JAG pouvait difficilement ignorer la guerre contre le terrorisme déclarée par George W. Bush Jr après le 11 septembre 2001, alors que s'ouvrait la septième saison de la série. Mais comment une série si patriotique allait-elle traiter un sujet exacerbant précisément la fibre patriotique de la nation américaine ? De fait, le 11 septembre a profité à la série, dont la septième saison a battu des records d'audience. Mais il a aussi accentué l'aspect le plus caricatural du show. En témoignage l'épisode le plus emblématique de la saison 7, diffusé en aout dernier sur France 2 et intitulé "Le tribunal". S'appuyant sur une déclaration du Président Bush, le scénario met en scène le procès d'un terroriste arabe, lieutenant de Ben Laden, à bord d'un porte avions américain et sur fond d'affrontements sanglants en Afghanistan. Le terroriste autant que l'attitude américaine à leur égard sont ici montrés à travers un prisme réducteur, au sine d'une saison qui regorge de déclarations à l'emporte pièce sur l'effort de guerre américain. Manquant cette fois du recul nécessaire, la série commet ici une évidente faute de goût...

L'écueil était difficile à éviter, tant en raison de la nature de la série que tu fait de son créateur : l'univers de Bellisario repose sur les notions d'honneur, de courage et de patrie. Symboliques, ces valeurs peuvent exprimer le meilleur. Ancrées dans une réalité hautement polémique, elles présentent des reflets inquiétants. A chacun de décider si ces excés condamnent la série, ou si ces (nombreuses) qualités suffisent à la racheter.



. Navy NCIS plus Experts que JAG ? .

Mais qu'est donc Navy NCIS, le spin-off de JAG ? Selon Don Bellisario, "Ce n'est pas JAG et ce n'est pas NCIS - je veux dire CSI (Les Experts en français) Je veux que ce soit clair !".

Et si même lui s'emmêle les pinceaux sur le titre de la série, on peut s'attendre au pire. Pourant, le ton est donné dès l'épisode pilote quand un nouvel officier demande à Mark Harmon, alias Leroy Jethro Gibbs : "NCIS, ça a quelque chose à voir avec CSI ?" et que celui ci répond :"Seulement si vous êtes dyslexique". Ainsi, nous nous attendons à découvrir une série qui n'aurait aucun point commun avec Les Experts, sauf si on est dyslexique bien sûr. Une équipe d'agens spéciaux, dirigée par Mark Harmon, a pour objectif de résoudre des crimes dans le milieu de la marine. Alors que notre héros du JAG se charge de mener l'enquête et de plaider lors des procès, l'équipe de Navy NCIS (dont la formule a été testée dans un épisode de la saison 8 de JAG que vous verrez bientôt sur France 2) mène l'enquête en alternant interrogatoires et recherche scientifique. C'est sans doute pour cela qu'il est grossièrement facile de la confondre avec Les Experts. Mark Harmon, héros de la série, plus habitué aux rôles de mèdecin (St Elsewhere ou Chicago Hope) que d'homme de terrain, gère une équipe composée de deux scientifiques et deux autres enquêteurs. Les scientifiques, dont David McCallum (ex Agents très Spéciaux) ne quittent leur bureau que pour ramasser des cadavres. Puis ils dissèquent et examinent d'un point de vue scientifique les preuves qu'ils trouvent. Le point commun avec JAG est, quant à lui, bien plus évident puisque toutes les enquêtes tournent autour de l'armée. Alors, à l'heure où la science détrône petit à petit l'esprit de déduction version Colombo, comment blâmer Bellisario d'avoir voulu lui aussi utiliser ce filon ? Navy NCIS n'est ni plus ni moins qu'une série policière, elle n'invente pas un genre, elle exploite.